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Extraits deuxième partie

L’YEUSE – 2ème partie

Le deuxième tome de l’Yeuse sort le 1er octobre 2025, mais Christophe MENET, son auteur, vous en offre dès à présent le premier chapitre.

CHAPITRE I
La Baie Franche

          « Les dieux fourrent ces péteux de Salveportais…, grommela entre ses dents le centurion Quælio, tout en faisant tournoyer dans sa timbale l’anomalie qu’elle contenait. Mais qu’est-ce qu’ils ont tous à vouloir faire du vin, de nos jours ? Il faut laisser faire ceux qui savent, bon sang ! Ah…, soupira-t-il, le monde devient fou. Pas vrai, Général ? »

Donumar se contenta de sourire, la question n’appelant pas spécialement de réponse. Si les temps changeaient bel et bien, il existait fort heureusement quelques rassurants repères immuables, et l’indéfectible mauvaise humeur de Quælio était de ceux-là.

Les hommes le surnommaient déjà « Centurion Y-en-a-marre » du temps de la cohorte. À peine une demi-cohorte en vérité, ce qui faisait de Donumar, en toute logique, une moitié de général. Deux centaines et demie de soldats précisément, qui avaient maintenu l’ordre dans la riche et encore paisible province de Saune, à une époque où il se serait tout aussi bien maintenu sans leur concours.

Comme souvent, Quælio n’avait pas tout à fait tort. Le sud donnait des crus beaucoup trop doux, et il n’était rien de plus au sud que Salveport. Pourtant, si le breuvage manquait définitivement de caractère, sa provenance avait-elle tout du moins le mérite de titiller la curiosité. Il avait fallu en appeler à un drôle de concours de circonstances pour qu’un tonneau de ce picrate du bout du monde, indûment qualifié de vin, finît dans les réserves d’une cabane bancale tout aussi indûment qualifiée de taverne, dans cet autre bout du monde qu’était la baie des Cètes ; « la Baie Franche », ainsi que se plaisaient à la rebaptiser ceux qui choisissaient de s’y fixer.

Donumar reprit une gorgée de ce vin tout aussi incongru qu’il l’était lui-même en cette contrée trop froide et trop jeune. Trente ans auparavant, il avait aperçu les coteaux alors boisés d’érables rouges où poussait désormais ce raisin. Il n’était pas même encore décurion. C’était au sortir de ce que l’on appellerait bientôt « la guerre de Deux Saisons ».

Plus d’une cinquantaine de navires aux proues curieusement ornées et prétendument venus de l’Austral, avec chacun à son bord quelque trois centaines d’hommes, avaient pris d’assaut l’insouciante Larrivée aux premiers jours de l’été. Épaulée par les renforts accourus de toutes les provinces filles, la Légion avait finalement libéré la cité mère et éradiqué les envahisseurs jusqu’au dernier.

Mais l’existence d’un continent austral n’étant attestée que par les poèmes antiques, il avait bien fallu désigner des coupables un peu plus concrets et punissables que d’hypothétiques monarques, cousus d’or et bagués de pierres, juchés sur des montures aux proportions tout aussi invraisemblables que leur contrée légendaire.

Les regards s’étaient alors rapidement tournés vers l’île du Salut et son littoral accidenté, foisonnant de criques supposées inhabitées mais notoirement propices à toutes sortes de manigances. On découvrit bientôt les preuves qu’une flotte s’y était massée en vue de l’attaque, et bien qu’ils ne cessassent jamais de clamer leur innocence, les principaux armateurs de l’île furent abandonnés au Sénat larrivéen par les autorités salvetiennes, afin d’être exécutés conjointement à leurs évidents complices continentaux : les patrices des familles larrivéennes ayant trop hâtivement fait le choix de l’occupant, au premier rang desquels figurait d’ailleurs le prestigieux haut sénateur Cnæos, grand-père de l’actuel solédicte.

Cultivant déjà la docilité qui deviendrait sa signature, l’encore jeune havremestre Thomus de Salveport avait rapidement été mis hors de cause. Son île du Salut s’était néanmoins vue frappée d’un interdit toujours en vigueur trente ans plus tard : celui de construire le moindre navire plus grand qu’une barque de pêche. Une contrainte dont les insulaires s’accommodaient aisément.

Le Salut rechignant depuis toujours à exploiter ses forêts trop difficiles d’accès, sa flotte marchande était déjà fortement dépendante du continent. Désormais, plutôt que d’arriver en billes ou en planches, le bois était directement importé sous forme de larus et de tonneliers, chargés, afin de s’éviter de coûteux voyages à vide, de tout ce que produisaient leurs contrées natales. Ces marchandises faisaient la fortune des négociants salvetiens qui, une fois suffisamment riches, se retiraient dans leurs luxueux domaines méridionaux pour y faire du gras, tout en regardant pousser sans effort le paresseux raisin de ce vin pour fillette. Ainsi la boucle était-elle bouclée, « le bon roi Commerce finissant toujours par l’emporter », comme le prédisait un adage bien connu.

Si les provinces n’avaient qu’à se féliciter du règne de leur bon roi Commerce, le Sénat qui avait favorisé son avènement souhaitait cependant reprendre la main sur les trop nombreuses transactions échappant à ses percepteurs. Devenu général par ancienneté plus que par mérite, Donumar venait de franchir le cap des cinquante ans lorsque s’était enfin présentée l’occasion d’accomplir un acte de bravoure véritablement digne de ce nom ; un acte de désobéissance, en l’occurrence.

Les lois étaient indispensables, il en avait pleinement conscience. Même la Baie Franche et son singulier bienfaiteur devraient un jour prochain se rendre à cette évidence. Mais les xaliques ne méritaient pas pour autant qu’on mourût ou tuât pour eux. Quand l’ordre avait été donné de réprimer « à n’importe quel prix » les émeutes de Saune, Donumar s’y était refusé, et la population reconnaissante l’avait aidé à s’enfuir. Exilé avec une centaine de ses hommes, il tuait désormais le temps en jouant de nouveau les miliciens, pour le compte cette fois d’un drôle d’oiseau faiseur d’orages et dresseur de dragons.

Les signes avant-coureurs d’une bagarre alertèrent soudain le général et son centurion. Le temps de se retourner, ils virent valser en arrière un jeunot dont le visage trop ordinairement avenant gagnerait assurément en caractère avec un nez tordu.

« Ne bouge pas, Général, je m’en occupe, dit Quælio avant de vider d’un trait sa timbale de mauvais vin. Pas moyen de boire un coup au calme dans cette foutue baie des empaffés », bougonna-t-il en quittant la table.

Les habitués s’assagirent à la seule vue de la lorica de cuir du centurion, mais l’agresseur n’était manifestement pas coutumier des us locaux.

« J’ai attendu toute la matinée, et ce morveux me passe devant !

— Peut-être, mais moi, je préfère aller avec le p’tit beau gosse », lui rétorqua Telda la lavandière, tout en débarbouillant le visage ensanglanté du garçon qui avait l’âge d’être son fils.

Vantée pour ses lessives tout autant que pour ses prestations plus intimes, cette soi-disant larrivéenne prétendait avoir été formée dans la venelle des Caresseuses. Pour y avoir en son temps dilapidé quelques soldes, Donumar se permettait d’en douter, quand bien même il appréciait à leur juste valeur les talents de la dame.

« Depuis quand les putes choisissent leurs clients ? continuait de se vexer l’éconduit.

— Tu es nouveau ici ? lui demanda tranquillement Quælio.

— Et toi ? T’es qui pour venir m’emmerder ? » réagit le butor en sortant une dague d’un fourreau fixé à sa ceinture.

La vue de la lame agaça bien plus le centurion qu’elle ne l’inquiéta véritablement. « Range-moi donc ça avant de te couper, foutu crétin », grogna-t-il comme à son habitude entre ses dents, la main posée sur le pommeau de son glaive.

L’homme à la dague claqua des doigts et cinq solides tas de muscles se levèrent pour cerner Quælio d’un demi-cercle menaçant. Donumar jugea venu le moment d’intervenir. Quand il se leva, le bruissement métallique de sa lorica de général attira à lui tous les regards.

« Est-ce qu’au moins ce malappris vous paye, pour assurer ses arrières, les gars ? Vous savez où vous êtes ? Ici, personne ne donne d’ordre à personne ! rappela-t-il en totale contradiction avec le service qu’il était précisément en train d’assurer.

— Vous êtes présentement chez les gens libres ! le relaya le centurion Quælio. S’il vous faut quelqu’un pour vous dire quoi faire et quand le faire, quelqu’un pour vous la tenir quand vous allez pisser, vous avez tout le reste du continent pour ça ! Et si vous tenez absolument à lécher le cul de celui-là, acheva-t-il en désarmant calmement l’homme à la dague, trouvez-vous une barque, et faites le capitaine !

— Maintenant, dispersez-vous ! ordonna Donumar. Et tâchez d’aller vous faire de meilleurs amis ! »

Les cinq costauds détalèrent sans demander leur reste, mais leur chef esseulé alla se rasseoir devant son pichet de vin. « Voilà qui est sage, le félicita Quælio en lui restituant sa lame. Garde ça pour te curer les ongles, mon vieux. Ou pour vider du poisson. Il n’y a guère que ça, du poisson, dans cette baie des engelures. »

Il rejoignit Donumar à table et se resservit une timbale de vinasse du sud qu’il vida en deux gorgées. « Finis tranquillement ton vin, Général, proposa-t-il ensuite à Donumar. Enfin… Si on peut appeler ça comme ça. Moi je vais faire un tour. Histoire de voir si nos cinq affreux n’envisagent pas de laver l’affront dans un autre trou à rats. Ce n’est pas ça qui manque, ici, les trous à rats.

— Fais donc ça, Centurion », approuva Donumar.

« De la part de la maison, Général ! annonça le tavernier en remplaçant le cruchon de vin salveportais par un autre. C’est du vrai, celui-là, vieilli en grotte, estampillé Picem.

— Merci bien.

— On a beau être libres, on n’a pas la tête plus grande qu’ailleurs, vous savez, commenta le commerçant en débarrassant la timbale de Quælio. Toutes ces règles qu’on a entre nous, et que vous êtes bien aimable de faire respecter, faudra bien un jour les graver quelque part.

— Tu veux des lois, l’ami ? s’étonna Donumar.

— Appelez ça comme vous voudrez, Général. Mais y’a de plus en plus de monde ici. C’est déjà plus le p’tit port de bric et d’broc que j’ai connu. Faudrait faire en sorte que les nouveaux arrivants, ils sachent à quoi s’en tenir, vous êtes pas d’accord ?

— Peut-être…

— Sans vouloir vous commander, Général, vous êtes sûrement le mieux placé pour lui en toucher deux mots. Les autres de son Conseil, on les voit rarement, nous autres. Et puis ils font peur à tout l’monde. Surtout Yorgo, le vieil aveugle.

— C’est moi qui devrais faire peur en principe, non ?

— Moi, j’dis qu’la loi ça devrait faire peur qu’aux hors-la-loi », conclut le tavernier avant de s’en retourner à ses fûts et à ses amphores.

Contrairement à l’idée que commençaient à se faire de lui les habitants de la baie, Donumar ne se considérait nullement comme un membre à part entière du Conseil, qui n’avait lui-même aucune existence formelle, à l’instar d’ailleurs de tout ce qui se faisait ou se défaisait dans la Baie Franche. Il aurait été plus juste de parler d’une garde rapprochée, d’un noyau dur, fort d’une quinzaine de loups de mer, tous chasseurs de baleines, tous acquis à la cause du mage noir, pour avoir navigué et frôlé la mort en sa compagnie. Donumar n’était qu’une pièce rapportée dans leurs réunions, qui tenaient plus, pour tout dire, du banquet que du conseil des ministres.

Immanquablement, après quelques semi-jarres d’eau-de-grain, le maître des lieux se lançait dans d’ambitieux discours libertaires qu’applaudissaient par habitude ses disciples, en vacillant comme si le château avait quitté son piton rocheux pour tanguer sur les flots, quelque cinq cents coudées plus bas.

Aussi grandiloquents fussent-ils, les interminables monologues du mage ne se résumaient cependant pas qu’à de vaines rodomontades. La Baie Franche était effectivement telle qu’il l’avait voulue et telle qu’il la dépeignait, avec plus ou moins de verve selon son degré d’ébriété : « un havre de liberté » en début de veillée, « un doigt dans le cul du continent » quand l’abandonnait définitivement tout lyrisme.

Sur la seule foi de vagues rumeurs, dans tous les ports dudit continent, des candidats à la seconde chance s’embarquaient sur le premier rafiot en partance pour le nord. Des hommes en délicatesse avec la justice ou un créancier, mais aussi des cinquièmes ou sixièmes fils fatigués de mendier les miettes de leurs aînés. Des filles également, certaines faisant main basse sur leur dot pour la miser sur un troquet à marins ou un étal de poisson, d’autres vendant parfois leurs charmes à qui leur convenait, plutôt que d’attendre que la famille ne les cédât à un vieux barbon en échange d’un lopin de terre, d’un siège dans une guilde ou d’une oreille complaisante au Sénat. Et par-dessus toute cette effervescence, dans le confort douillet du château, résidait la discrète âme sœur du mage, son amour impossible en tout autre lieu, le diamant pour lequel il avait forgé cet écrin à l’abri des lois, des convenances et des pesantes traditions.

Personne ne prononçait jamais le nom du mage noir. En souvenir du temps où il brossait le pont, les plus chenus parmi ses fidèles continuaient tendrement de l’appeler « le gosse », mais dans la baie, si on l’évoquait toujours avec le plus grand respect, on s’appliquait surtout à l’évoquer le moins possible. Ses pouvoirs et ses dragons suffisaient à faire de lui une autorité qui n’avait pas besoin de se montrer. Comme on ne l’apercevait que très rarement, et toujours dissimulé sous sa cape noire, d’aucuns prétendaient qu’il déambulait le reste du temps vêtu comme un badaud ordinaire. D’autres assuraient qu’il pouvait à loisir se transformer, afin de se fondre dans la foule de ses sujets sous les traits d’un homme, d’une femme ou d’un enfant. Il était même capable de se changer en animal, croyaient savoir les plus imaginatifs. Des rumeurs fort utiles au maintien de l’ordre, ceux qui les gobaient s’imaginant certainement qu’au moindre écart de conduite, la foudre pouvait à tout moment leur roussir le cuir chevelu.

Même pour un pragmatique disciple du grand Portunctus le Logique tel que se targuait de l’être le général Donumar, une partie au moins des pouvoirs que l’on prêtait au mage noir étaient indiscutables. Cela dit, une fois la cape tombée et les dragons dans leur nid, l’homme en lui-même n’avait rien de bien effrayant, contrairement aux trois acolytes muets qui hantaient son château et lui tenaient lieu de serviteurs, bien que rien dans leur attitude n’évoquât la domesticité.

Comme partout sur le continent, on rencontrait dans la Baie Franche toutes sortes de physionomies. Pourtant Donumar n’avait jamais croisé, de toute sa vie, de visages semblables à ceux des trois hommes qui servaient silencieusement le mage. La plus infime lueur semblait les éblouir, car ils plissaient les yeux dès qu’ils s’extrayaient des recoins sombres d’où ils guettaient la moindre attente de leur maître. Quant à leur teint, bien malin qui pouvait le décrire, tant leur peau était couverte de motifs verdâtres, qu’aurait tout aussi bien pu laisser une méchante maladie qu’un dieu malveillant.

Le général se servit une timbale de vin et but une gorgée. Le frisson escompté le parcourut aussitôt. Ce cru d’Ouest était à la hauteur des promesses du tavernier : un vin d’adulte, qui attaquait le palais sans chercher à flatter la langue, qui vous dépolissait l’arrière des dents et vous laissait longtemps en bouche le goût du chêne dont on fait les tonneaux. Il savourait encore ce nectar lorsqu’un de ses hommes entra dans l’établissement et balaya la salle du regard.

« C’est moi que tu cherches ? l’interpella Donumar.

— Ils arrivent, Général, dit le légionnaire essoufflé en s’approchant. Ils seront là avant la fin du jour.

— Il fallait bien que ça arrive. Reprends ton souffle, soldat, et bois donc un coup. C’est offert de bon cœur, il ne faudrait pas gâcher. J’ai passé l’âge des grimpettes. Tu me rejoindras sans peine. »

Les bicoques poussaient comme des champignons sur la moindre portion de terrain plat. Un véritable labyrinthe d’escaliers souvent précaires et de venelles parfois si étroites que deux individus quelque peu replets auraient eu peine à s’y croiser. Parvenu au sommet d’un rocher qui dominait l’anarchique embryon de cité, Donumar s’accorda une pause avant d’entamer l’ascension du col proprement dite.

Tout en bas, des voiliers s’affrontaient comme chaque jour à l’entrée du port. On jouait de grosses sommes sur ces courses, et c’était toujours les« radeaux » qui l’emportaient sur les embarcations ordinaires. Un surnom qui donnait confiance aux rares pigeons osant encore miser contre eux, mais qui ne rendait absolument pas justice à leurs performances.

Constitués de deux coques reliées par un pont souple, les radeaux en question arboraient, selon leur taille, une à trois voiles triangulaires qu’un homme expérimenté était en mesure de manier seul. Ils viraient de bord plus rapidement que n’importe quelle embarcation, et certains capitaines prétendaient avoir déjà vogué plus vite que le vent lui-même. Lorsqu’un an plus tôt Donumar et ses hommes avaient débarqué dans la baie, la faune des joueurs et des preneurs de paris ne parlait que du tout récent record, resté invaincu depuis. S’il fallait en croire les chronométreurs et leurs clepsydres, un petit radeau venait alors de parcourir en moins d’une heure la demi-religue séparant la pointe des Baleiniers du pied du château.

Si l’on tenait absolument à parler d’un château, il convenait de considérer le piton rocheux dans son ensemble. Autrement, il ne s’agissait jamais que d’une grande bâtisse de torchis et de bois posée en altitude. On y avait convoqué Donumar à peine une saison après son arrivée, et c’était presque à bout de souffle qu’il s’était présenté devant le mage noir. Celui-ci l’avait reçu dans une bibliothèque richement pourvue qui sentait bon le vieux cuir et la cire d’abeille.

« J’ai ouï dire que vous et vos hommes faisiez respecter les règles élémentaires du savoir-vivre, avait-il déclaré en lui dévoilant son visage.

— On peut le résumer ainsi », avait admis Donumar.

Un des trois acolytes maculés avait alors déposé un coffret dans les mains de son maître. Le mage l’ayant aussitôt ouvert pour en exhiber le contenu, Donumar avait pu y prélever une pièce d’argent afin de l’examiner. Très semblable à un xalique de par sa forme hexagonale, elle était cependant frappée sur chaque face d’un seul et unique « L » subtilement enluminé.

« Je vous demande simplement de continuer votre office, avait dit le mage. Un pareil coffre vous sera remis ici même au premier jour de chaque dizaine. Charge à vous de le partager équitablement entre vos hommes, Général. »

Diausem était ainsi devenu le jour de solde. Le jour du rapport décadaire également, qu’écoutait attentivement le mage avant de convier le plus souvent Donumar à savourer, en compagnie du Conseil, tout ce que le continent produisait de meilleur.

Aussi festif que d’ordinaire, le dernier banquet s’était cependant achevé sur une mystérieuse et sinistre requête du mage : « Un homme armé et un petit sorcier très dangereux vont tenter de franchir le col. Je ne veux pas d’eux dans ma baie.

— Ils doivent mourir », avait précisé Yorgo le vieil aveugle, entre deux gorgées de cervèse, comme s’il s’était agi là d’une simple formalité.

Le mage avait alors adressé à Donumar un sourire plus enchanteur que jamais, et toutes les questions qu’il aurait dû poser lui étaient restées dans la gorge. En consentant par son silence à cette sombre besogne, il avait eu le sentiment d’entrer définitivement dans le dernier cercle.

L’ascension du col se montra autrement plus rude que la montée au château. Le général prit douloureusement conscience de l’âge de ses genoux lorsque le rejoignit à mi-pente seulement le soldat qu’il avait laissé à la taverne quelque trois heures plus tôt.

L’air se faisait si rare au sommet du col, entre les deux pics enneigés malgré l’été, que Donumar s’étrangla en buvant à l’outre tendue par l’un des hommes qu’il avait postés là.

Sur le versant sud, le duo annoncé six jours plus tôt achevait effectivement la montée : un homme armé d’un glaive et une sorte de petit scribe encapuchonné. Mais personne n’avait jugé opportun de mentionner les mules, et encore moins les trois enfants. « Ne suis-je donc devenu soldat que pour désobéir aux ordres ? » se lamenta Donumar.

Le jeune homme capé de gris força le pas pour précipiter la rencontre. « Mon nom est Vintsan, annonça-t-il en se figeant au garde-à-vous. Capitaine de la garde douqiale, au service du sieur Théoldt, douqas de Coriaire. »


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